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5.13.2010 Conference Utopie(s): Visite de l’Empereur du Nowheristan


Par Michaël Legrand
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Mardi soir, le Centre culturel français recevait. Pour l’organisation de son événement culturel consacré à l’utopie, il a convié un chef d’État. Pas celui du Liban. Son pays se nomme Nowheristan. En bon français, ça donne le pays de nulle part.

Premier pas, selon l’empereur, vers l’Everywheristan.

Son nom: Michel Eléftériadès, Michel Ier pour les intimes. Bien connu des résistants libanais du début des années 1990 et du show business beyrouthin d’aujourd’hui. Le plus excentrique des Libanais a donc fait l’honneur, à ses admirateurs et aux curieux, d’une conférence sur le theme "Utopie d'aujourd'hui, réalité de demain". Entrée en fanfare au son des cymbales, des tambours et de la trompette pour l’Empereur auto-proclamé. Le tableau de Sa Majesté, qui trône dans la pièce à côté du... trône justement, ressemble pour beaucoup à une affiche de théâtre façon Charlie Chaplin en dictateur ou Dieudonné, «son ami, son frère». Un petit côté mégalo que le côté humoristique de la mise en scène permet au moins de déguiser. D’entrée de jeu, la journaliste charge de diriger l’entretien devant le public, Yousrak Arvezi, qui n’est autre que son assistante, Yousra Bustros, nourrit l’orgueil de Son Altesse en le comparant à l’empereur du Japon. Le voilà dans de bonnes dispositions pour relater toute la chronologie de l’empire nowheristanais. Celui-ci vit le jour en grandes pompes en 2005, pour le Jour international de la paix à l’Unesco, en présence de l’envoyé spécial de Kofi Annan ainsi que du ministre libanais de la Culture de l’époque, Tarek Mitri. Le but ultime, prévient-il d’emblée, est la chute des 192 gouvernements reconnus par l’Onu. Rien que ça. Une prétention qui n’a pas eu l’air de plaire au sein du gouvernement libanais.

D’ailleurs, pourquoi créer un nouvel empire de la paix quand on a déjà l’Onu? N’est-ce pas ce qu’elle essaie de bâtir depuis plus de 60 ans? «Ce machin, comme l'appelait le Général de Gaulle, part en c...», fait valoir Son Altesse. «L’idée de mettre tous ces pays sous un même toit, en donnant à certains un droit de veto, pour discuter des problems mondiaux, fait penser au Titanic qui coule tandis que des passagers jouent de la musique».

Alors, que va changer le Noweheristan?

«Notre Empire se développera par la désobéissance civile», prédit-il. «Et ça peut être très rapide. Dans des démocraties comme la Suède, il nous suffira de 15% pour prendre le pouvoir.

Bien sûr, dans d’autres pays, il en faudra plus. En Égypte, nous nous contenterons de 120% d’adhésion populaire». La démocratie justement. La bête noire de Michel 1er.

«Elle ne devrait pas exister. Deux idiots pèsent deux fois qu’Einstein, c’est absurde. Notre système, c’est la philosophie du Best Of». Comme dans le show biz? Oui, après explication, c’est bien ça. On fait une compil' des meilleurs titres: «Avec le temps on peut savoir ce qui est bon et ce qui est mauvais dans chaque système. Nous voulons donc adopter le meilleur de tout ce qui a été fait».

Ni frontière ni souveraineté Voilà qui peut paraître vague pour le néophyte, mais quelques traits saillants se dégagent déjà. Il y aura une justice mondiale. Les représentants du peuple n’auront plus accès à l’argent. Pour éviter la tentation.

Plus accès aux médias non plus car, nous explique Sa Magnificience, «parfois le gouvernement est placé face à des choix difficiles à faire. Il faut alors contourner les médias qui empêchent la prise de décision». Effectivement, tout ça n'est pas très démocratique.

Mais les choses se corsent quand on parle culture. Morceaux d'anthologie: «Votre Excellence, y aura-t-il une langue officielle pour ce nouvel État mondial?

- Oui, bien sûr. Ce sera le globish.

- Euh... vous voulez dire, l’anglais?

- Bien sûr. Enfin, de l’anglais petit nègre. Le plus répandu. Nous sommes des pragmatiques: il faut une langue qui permette le dialogue entre les gens du monde entier. Mais nous créerons un vocabulaire précis de la langue, volontairement limité. Ainsi les gens continueront à utiliser leur proper langue».

En plein Centre culturel français face à un auditoire francophone, effectivement, Michel 1er est gonflé. C’est drôle, sans doute, mais quand on lui parle identities locales, Sa Luminiscence part carrément dans le décor: «Notre empire ne détruira pas les identities locales. Regardez les Bretons, les Basques... Ils sont Français et ils n’ont pas perdu leur culture pour autant». Personne ne s’est étouffé dans la salle. Il n’y avait donc à coup sûr ce soir ni militant breton, ni autonomiste basque. Au fond, ce que veux l’Empereur, c’est la fin des États. «Pas besoin des frontières, pas besoin des souverainetés nationales», clame-t-il. «Regardez les États-Unis d’Amérique. S’il n’y avait pas le gouvernement fédéral, ce serait la guerre entre ces États.

Au lieu de cela, ils se réfèrent à la Cour Suprême». Plus d’États et plus de guerres donc. Plus de passeports non plus: «Il est inadmissible qu’il y ait aujourd’hui des passeports avec des droits différents: que peut faire un Camerounais avec son passeport? Autant ne pas lui en donner. Il pourra juste aller au Cameroun». Ces idées sont-elles populaires en France? «Notre développement est difficile en France, vous savez, avec quelqu’un comme Sarkozy...» Rires dans la salle. Et au Liban? «Depuis que j’ai commencé ma champagne pour dénoncer la dette inique du Liban, les banques ont voulu me poursuivre pour haute trahison. Le gouvernement aussi». Pas le public ce soir. Lui est conquis.


Bio en bref

Né à Beyrouth en 1970, Michel Eléftériadès, Gréco-Libanais, crée en 1991 les Mouvements Unis de Résistance (M.U.R.) contre l'occupation syrienne. En 2005, il concrétise sa vision utopique d'une nouvelle nation sans frontières avec le Nowheristan. En 2007, il lance une champagne publique intitulée «Nous ne paierons pas» contre le remboursement de la dette publique libanaise, qu'il juge inique, car contractée entre 1990 et 2005, alors que le pays était sous occupation étrangère.